jeudi 15 octobre 2009

Révélations britanniques sur Uzbeen

Le Times de Londres a rouvert ce matin un des épisodes les plus douleureux de l'engagement français en Afghanistan, mais Tom Coghlan l'éclaire sous un jour particulièrement percutant. Selon l'enquête du quotidien, particulièrement documentée, on apprend que les Italiens avaient payé des Talibans et des chefs de guerre locaux pour avoir la paix dans le district de Surobi. Ce qui déjà pose problème, puisque payer pour avoir la paix, c'est payer pour que des insurgés qui font la guerre la fasse à d'autres (1).
C'est ce qu'ils ont fait le 18 août, aux soldats français, sur le col de l'Uzbeen. Le confrère explique que des interceptions effectuées par les forces américaines avaient conduit l'ambassadeur américain à Rome, en juin 2008, à demander des explications au gouvernement italien, sur ses procédés. Ces interceptions montraient que des sommes avaient aussi été versées en RC-W, et il n'était pas encore question, apparemment, de ceux intervenus en Surobi.
Le seul problème, c'est que personne, pas plus les Italiens que les Américains, n'ont jugé opportun d'en aviser la coalition, et notamment les Français, qui succédaient aux Italiens en Surobi, assure le confrère britannique. La patrouille dans laquelle figurait Carmin 2 s'est donc engagée dans une vallée réputée calme par les Italiens. Calme qui avait donc été acheté, selon la thèse du Times. Un ancien de Surobi résume ainsi le deal : "les Italiens ne subissaient pas d'attaque. Les gens disaient ques les Italiens et les Talibans entretenaient de bonnes relations (...) On savait que les Talibans venaient en ville, et on savait qu'ils ne menaient pas d'attaque sur les Italiens, mais on ne savait pas pourquoi".
Retour sur des lacunes
Mais le quotidien n'arrête pas là son réquisitoire. Tom Coghlan évoque le "manque de préparation" de la colonne (qui comportait une section ANA, une section française du RMT, une section française du 8e RPIMa, et une équipe de forces spéciales américaine, ou ODA). Le Times évoque les 100 cartouches par soldat français -il n'est pas loin du compte-, l'absence de soutien d'artillerie (2), le manque de radio, aucun soutien aérien pré-réservé (3). Bref, il refait l'exercice que peu, en France, ont souhaité effectuer et pousser à terme, il y a un an, et ont encore refusé, cette année, alors qu'on célébrait le premier anniversaire de l'embuscade. L'entretien de la mémoire des dix morts d'Uzbeen n'exclut pas l'analyse factuelle.
Faut-il le rappeler, un député de la commission de défense de l'assemblée nationale avait aussi demandé une mission d'information sur l'embuscade d'Uzbeen, mission qui a été balayée.
Pour tout dire, il est en fait étonnant que ce soit un média britannique qui fasse cette enquête.
Peut-être moins que les informations lui soient parvenues : par les temps qui courrent, stigmatiser les mauvais élèves, c'est aussi une façon de leur faire comprendre qu'il rester du travail à faire.
En forme de réponse à l'enquête du Times, le gouvernement italien a seulement nié en bloc, répondant que les accusations sont "sans fondement". Il n'est pas sûr que cela suffise.

(1) un officier de l 'OTAN interrogé par le Times défend le procédé en expliquant que c'est même courant, mais que ce qui l'est moins, c'est de ne pas en aviser les gens qui vous succèdent sur le territoire en question. Ceci dit, vu le caractère peu moral du procédé, on peut comprendre que ceux qui y recourrent ne souhaitent pas forcément s'étendre sur le sujet...
(2) pour avoir osé écrire sur ces différentes déficiences, l'auteur de ce blog n'a pas pu voir l'Afghanistan depuis. Par contre, aucun militaire français n'a subi, après Uzbeen, la moindre sanction. Les responsables de l'époque ont même tous été promus et décorés, certains avec raison. La plupart des exécutants, par contre, n'ont encore rien reçu, comme ce blog le révélait, cet été.
(3) des sources concordantes, mais qui ont toujours contestées par l'état-major français, font état d'une proposition de vol de drone Predator, mais qui avait été refusée, la veille. Le confrère affirme par contre que ce sont les ODA qui ont sauvé la mise en guidant l'appui-aérien, version contestée par Pierre Lellouche dans l'immédiat après-Uzbeen. L'élu avait révélé que le TACP était alors en formation, et ne pouvait donc effectuer de guidage.

Pour aller plus loin, la série que j'ai écrite cet été sur les évènements d'Uzbeen :
http://lemamouth.blogspot.com/search/label/Uzbeen

Des compléments peuvent être trouvés dans le hors-série Opex de RAIDS, et dans RAIDS n°281.